Chez moi

Me revoilà enfin. Cette bonne vielle porte en bois rouge, craquelée dans le coin inférieur gauche, et cette bonne vielle fissure que je ne peux lâcher du regard. D'où venait-elle déjà ? Plus je la regarde, plus mon regard se perd dans les profondeurs aspirant un peu plus mes souvenirs par la même occasion. Mais d'où venait cette fissure ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Cela me reviendra plus tard. Je suppose... Je l'espère... Mais bon je n'ai pas de quoi m'inquiéter, j'arrive à me rappeler quelle clé utiliser.  Ah, je ne la retrouve pas... Peut-être l'ai-je oublié à l'hôpital. Heureusement qu'on laisse toujours un double en dessous de la dalle d'entrée. Comment ça on ? J'en ai presque oublié ma femme, je suis tombé bien bas. C'est le temps de me reprendre, tout va rentrer dans l'ordre. Une fois à la maison, tout redeviendra une routine. Mon boulot, ma femme et notre chat. D'ailleurs où est t-il ? Il m'accueillait toujours quand je rentrais. Il ne m'aurait pas reconnu ? Je ne suis pas parti si longtemps pourtant. il doit sûrement faire une balade dans les coins, j'arrive juste au mauvais moment. Enfin bref, la clé est bien là, mais j'hésite. Si j'ouvre cette porte , et que je ne reconnais rien. si jamais rien ne redevient comment avant ? C'est déjà tellement bien parti, je n'ai personne pour m'accueillir. Ce n'est pas leur faute. Je ne rentre juste pas comme à mon habitude. Mais si je rentre et que je ne reconnais rien ? J'ai reconnu la porte et je me rappelle de l'emplacement de la clé c'est déjà ça.  Je me souviens aussi du prénom de ma femme et notre chat c'est que tout s'améliore ! Mais les ai-je déjà oublier ? Enfin bon, je dois ouvrir cette porte. Je DOIS ouvrir cette porte.

 Je reconnais le grincement. Je reconnais le grincement !!! Quel sentiment, j'en ai des frissons. Le couloir était aussi long ? Ce n'est pas grave, ce couloir ! Avec le petit meuble à chaussures qui se fait plus tenir par les chaussures que l'inverse. Et ce porte manteau que j'avais fabriqué, aussi bancale que moi, je dois bien l'admettre. Toujours pas de traces de Rudolph, il doit définitivement être parti se promener dans les environs. Par contre, je ressens une drôle de sensation. Comme une impression de déjà vu mais avec un sentiment d'être étranger à cette scène. Comme si je l'avais déjà vu mais pas de mon propre point de vue. Cela doit être un effet secondaire.

Tout se mélange encore dans ma tête. Tout se passe si vite. Mes souvenirs me reviennent un peu plus à chaque nouveaux pas. Ce parquet que j'ai temps galéré à poser, le papier peint laid mais qui nous rappelait notre rencontre avec Dorothée. Quelle histoire, quand je pense que l'on s'est rencontrés en renversant ce papier peint et que maintenant nous vivons ensemble depuis 15 ans. 15 ans déjà ?! Que le temps passe vite. D'ailleurs, elle ne devrait pas tarder il est déjà 17h. je ferais mieux de me dépêcher et de lui préparer un petit verre de thé noir à l'hibiscus qu'elle aime tant. 

Tout se déroule comme prévu, mes souvenirs m'envahissent et me fouettent comme des vagues qui viendraient de front pour m'entourer. J'aime ces vagues et ce sentiment qu'elles amènent. Je m'y laisse porter volontiers, vers l'océan de ma vie. Ce 13 Octobre 2001 où nous nous sommes mariés sous des cerisiers. L'adoption de Rudolph, même si c'est plutôt lui qui nous a adopté. Mon premier vélo orange fluorescent car ma mère avait peur que je ne sois pas assez visible dans la nuit. Tout me revient progressivement, dans le désordre mais cela revient. Je ne pouvais pas espérer mieux. Tout est bien qui finit bien on dirait, je n'avais pas à m'inquiéter. En parlant de bien finir, voilà que j'entends Dorothée. A part si Rudolph a apprit à ouvrir la porte d'entrée, ce qui m'étonnerais. 

"- Chéri, je suis rentré.

- Mais, qui êtes vous ?!

- Hahaha, très drôle celle là. Tu ne me l'avais encore jamais faite mon biscuit.

- Comment connaissez-vous ce surnom ?!!

- Tu peux arrêter s'il te plait ? ça me fait vraiment peur.

- Arrêter quoi ? Sortez de chez moi !!

- Qu'est ce qui te prends ? C'est moi ! Ton présent !

- Mais qui êtes vous à la fin !?

- C'est toi ou c'est moi qui rentre de l'hôpital ? Tu ne me reconnais même plus ?

- Mais je ne vous connais pas !

- Alors si tu ne me connais pas comment tu expliques mon porte manteau ? Et la table avec nos initiales ?

- Comment savez-vous tout ça ?

- Parce que c'est moi mon biscuit !! Je t'ai même préparé ton thé préféré ! Pourquoi tu pleurs ? Ne t'en vas pas !"


Elle est partie. Pourquoi ne m'a t-elle pas reconnu ? Elle s'est même enfuie en courant après être parti en sanglot. Qu'ai-je fais ? Est-ce moi ?  M'aurait-elle oublié ? Remplacé ? Non, jamais. Ce n'est pas son style et elle ne garderait pas tous ces souvenirs tel que la table et ce vieu papier peint. Mon accident aurait-il déformé mon visage ?! Vite, à la salle de bain.

Je crois que je rêve. Pourquoi ce n'est pas mon reflet dans le miroir. Mais qui est cette personne ? Qui suis-je ? Pourquoi suis-je blond ? Pourquoi je suis si...différent ? Pourquoi il y a une photo de moi à côté des toilettes ? C'est un article ? "Appelle à témoins, un homme est porté disparu." Mais je suis là ! Bien réel ! Mais ce corps, l'est- il ? A qui appartient ce corps ? A qui appartient ma vie ? A qui appartient chez moi ?

Où suis-je ? Je me souviens avoir fuie mais plus de rien. Je reconnais cet endroit. Ces érables , ce lac, ce cabanon, ce chien, cette maison. C'est chez moi. C'est chez moi ? J'ai comme une impression de déjà vu.  C'est peut être parce cette maison est la mienne ? J'en ai le souvenir mais il y a quelque chose de différent. La porte n'était pas rouge ? Elle n'était pas fissurée à côté de la poignet ? J'ai dû rêver, avec cette impression de déjà vu. J'en suis à un point où ma maison m'est devenue étrangère. Je dois être vraiment fatiguée. Rudolph est bien sage dans sa niche. Dans sa niche ? Mon chien ne s'appelle pas Rudolph.  Je suis vraiment fatiguée. J'ai reçu le courrier tôt aujourd'hui, il est déjà là ! "Une femme morte d'hypothermie après s'être jetée dans un lac glacé" Elle devait vraiment être désespérée la pauvre Dorothée. Dorothée ? Encore cette impression de déjà vu. Comment aurais-je pu connaître cette pauvre dame ? Elle habite en Caroline du Nord. Je suis fatiguée, il est vraiment temps que je rentre chez moi. Chez moi ?